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Travailler moins pour vivre mieux

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Préambule

Ah, la rentrée de septembre… la grande resynchronisation de toute l’humanité laborieuse. Maintenant que les paysans ont été mis en minorité au niveau mondial, on peut bien dire que notre Histoire Naturelle est à une nouvelle charnière : nous avons très longtemps été chasseurs-cueilleurs jusqu’à la révolution néolithique il y a 10000 ans, puis nous avons été agriculteurs, et maintenant nous sommes employés. L’avenir dira quelle empreinte auront laissé cet interminable passé de chasseurs-cueilleurs puis ce récent passage par l’agriculture. Toujours est-il que l’Homme d’aujourd’hui vit hors-sol et tire sa subsistance non plus d’un écosystème, fût-il artificiel, mais d’un système économique et d’un travail spécialisé. Ce travail spécialisé rythme nos vies du matin au soir, il conditionne nos parcours de la maternelle à la tombe, il nous définit jusque dans notre État-Civil, et il a tellement envahi nos références culturelles qu’on envisage rarement une autre façon de vivre. Ce travail spécialisé est une aberration d’un point de vue permaculturel tant il nuit à la diversité et à la résilience, comme nous l’allons voir ici.

Le travail bourgeois et puritain

Pas facile de définir le travail sans faire intervenir l’argent. Dans un monde primitif sans argent, on peut imaginer que les gens considéraient comme ‘travail’ toute activité de subsistance pénible mais nécessaire, le reste étant du ‘loisir’. Mais comme on le voit dans les rares populations restantes de chasseurs-cueilleurs, la frontière est floue tant ils s’arrangent pour rendre plaisantes la plupart des tâches nécessaires, ne serait-ce qu’en les accomplissant en groupe.

Si l’on se place du point de vue de l’agriculteur néolithique, c’était probablement les tâches agricoles pénibles qu’on considérait comme du ‘travail’, tâches souvent solitaires, en particulier le bien-nommé labour.

Mais notre référence culturelle moderne est héritière des bourgeois des villes, et prisonnière de la notion d’argent, voici comment. A l’époque médiévale,a la société était encore peu spécialisée, avec une majorité de gens tirant leur subsistance de la terre. La monnaie était essentiellement absente du paysage économique. Le travail était une activité inférieure et méprisée. Le gentilhomme combattait, chassait ou joutait ; sa dame tissait, chantait ou jouait du luth, mais Dieu les en préservent, ils ne travaillaient pas. Le travail était pour les serfs.

Et puis, de la fin du Moyen-Age au XIXe siècle, les références culturelles et morales ont peu à peu glissé des mains du hobereau des champs dans celles du bourgeois des villes. Au contraire du seigneur, le bourgeois vivait de son travail. Pour l’artisan, le commerçant ou la logeuse, ce travail n’était plus vice mais vertu — voici l’origine de l’éthique protestante du travail qui a maintenant envahi le monde entier.

Ledit bourgeois exerçait une activité trop spécialisée pour en vivre directement. Contrairement au paysan qui peut se nourrir de son ouvrage, celui qui fait des chaises, coud des gants ou vend du vin devait s’appuyer sur un échange monétaire pour en tirer subsistance en retour. Ainsi, dans une économie spécialisée, le travail n’est plus immédiatement nécessaire, et son utilité n’est mesurée qu’à travers l’échange commercial, donc l’argent. Lentement mais sûrement, le travail ne désigna plus la tâche utile ou nécessaire, mais la tâche rémunérée ou lucrative. Nous avons maintenant hérité de cette notion insidieuse, et nous voilà tous piégés.

  • Si je tonds ma pelouse, ce n’est pas du travail ; mais si je tonds celle du voisin pour de l’argent, c’en est
  • Si je m’occupe de mes enfants, ce n’est pas du travail ; mais si je m’occupe de ceux des autres contre salaire, c’en est
  • Si je cuisine mon repas, ce n’est pas du travail ; mais si quelqu’un me paye pour lui faire à manger, c’en est

Nous voici donc avec une éthique du travail qui proclame que le travail est vertu et l’oisiveté vice, et un préjugé culturel qui fait que l’on considère comme un vrai travail uniquement ce qui rapporte des sous. Ceci nous pousse à passer l’essentiel de notre temps dans un travail rémunéré, de peur de tomber dans le vice. Pourtant, si l’on revenait à l’idée de départ que seul l’utile ou le nécessaire devrait prétendre au rang de ‘travail’, une fois remplis nos besoins nous pourrions lever le pied en toute bonne conscience.

C’est d’ailleurs sûrement ce que faisaient les gens dans les sociétés non-spécialisées d’autrefois. Quand on avait assez à manger pour l’hiver, quand la hutte était faite, les outils affûtés et les habits cousus, il aurait été stupide de sacrifier du temps social ou du temps libre pour faire du zèle. Malheureusement, bien peu sont maintenant capables, une fois satisfaites les nécessités immédiates, de prendre du recul et de se poser la question “quels sont mes autres besoins véritables ?”. En tout cas pas avant la retraite.

Et donc nous continuons de travailler autant que la physiologie et la longueur des jours nous le permet, même quand on a déjà trop à manger, des maisons trop grandes, des placards trop petits pour ranger tout le fatras. Et hors de notre activité économique spécialisée et rémunérée, il ne nous reste plus de temps (ou d’entrain), si bien qu’il nous faut sous-traiter toute une série de tâches qui ne rapporteraient pas de sous : s’occuper de nos enfants, entretenir nos maisons ou nos voitures, cuisiner nos plats, aider nos voisins à emménager, etc. Comme il nous faut payer ceux qui s’en chargent à notre place, cela représente alors une activité rémunérée, donc un vrai travail pour eux alors que ça ne l’aurait pas été pour nous. Ceci conduit à accroître la somme d’argent qui circule dans l’économie, donc le PIB, amenant ainsi de la croissance — mais est-ce bon ?

Est-ce que c’est ça que l’on veut réellement ?

Quand on part d’une société non-spécialisée, où chacun doit faire tout soi-même, du jardin aux habits en passant par le chaume de la toiture, il est certain qu’un peu de spécialisation était forcément une bonne chose du point de vue de l’efficacité économique. Si chacun se concentre un peu sur ce qu’il sait le mieux faire et qu’on partage ensuite entre tous le produit du travail de chacun, il y en aura forcément davantage pour les uns et les autres, si bien que nos besoins seront remplis tout en travaillant moins longtemps.

C’est probablement ce mécanisme qui a donné l’impression que l’augmentation du PIB (qui traduit la monétisation et donc la spécialisation d’une économie) s’accompagnait toujours d’une amélioration des conditions sociales. En fait, au-delà d’un certain niveau, on voit clairement apparaître un décrochage entre le PIB et d’autres indicateurs comme le GPI, la satisfaction, ou l’espérance de vie. Ces indicateurs stagnent voire régressent dans le monde dit “développé” depuis bientôt 40 ans alors que le PIB a continué d’exploser. Je pense que cela témoigne du fait qu’une fois nos besoins élémentaire remplis, travailler plus pour gagner plus est un jeu perdant : il n’y a plus vraiment grand-chose à gagner en bien-être ou en bonheur, et on ne peut pas acheter le temps perdu. Après 10 heures de travail, le mécanicien auto en a par-dessus la tête de serrer des boulons, tandis que la nounou de son fiston est complètement épuisée. Le premier préférerait sûrement jouer un peu avec son fils avant de le mettre au lit, et la seconde s’essayerait volontiers à vidanger sa voiture si ça lui permettait d’être un peu tranquille une heure ou deux.

Moralité : tous à mi-temps… (ceux qui peuvent)

Dans une société sur-spécialisée, la croissance du PIB devient éminemment néfaste, si bien qu’il faut renverser l’éthique du travail pour organiser la nécessaire décroissance. On peut continuer de considérer un travail rémunéré donc spécialisé comme une bonne chose, mais dans la stricte limite de la satisfaction de nos besoins. Et une fois nos besoins matériels satisfaits, nous devrions surtout nous en tenir là. C’est la démarche de la simplicité volontaire : ne pas surévaluer ses besoins pour éviter la fuite en avant (laquelle commence souvent par un prêt immobilier). En particulier, ne pas prendre ses voisins comme référence : on sera toujours le pauvre de quelqu’un, alors autant arrêter la course au “gagner plus” avant d’y laisser sa santé.

L’idéal serait que tout le monde puisse vivre correctement en travaillant à mi-temps (un peu plus, un peu moins) à un travail spécialisé, et le reste du temps à faire tout le reste : potager, associations, enfants, art, musique, petits boulots informels, que sais-je encore …

Au-delà du bien-être qui résulte forcément d’une diversification de l’activité pour chacun, ceci apporterait beaucoup de résilience sociale. Les gens seraient plus débrouillards, le monde ne s’écroulerait pas quand on perdrait son job, et on aurait parfois l’occasion de transformer l’une de ses activités informelles en travail rémunéré pour retomber sur ses pattes.

Vous me direz que c’est bien beau de prôner le mi-temps, encore faut-il pouvoir se le permettre. Et j’admets qu’un demi-smic ne permet pas tout le temps de se mettre ne serait-ce qu’un toit au-dessus de la tête (allez vivre en yourte à Paris…). J’admets aussi que les préjugés des employeurs autorisent rarement ce genre de démarche même à ceux qui sont mieux payés.

Mais pour ceux qui peuvent, il n’y a pas à hésiter. Je gagne actuellement à peine moins que quand j’ai commencé à bosser (c’était il y a quinze ans), en transformant grosso-modo à chaque fois mes primes en congés et mes augmentations de salaire en réductions de temps de travail.

Autres lectures

Dans l’arpent :

La série sur le travail à lire chez Karmai (Jardinons la Planète)


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